Une victoire amère

Une victoire amère

La guerre contre l’unité avance toujours un peu plus et nous continuons de garder l’avantage au fil des mois, mais à quel prix ? Est-ce que la destruction de cette nouvelle base vaut tout ce que nous avons eu à supporter ? J’ai ma manière de gérer mes mésaventures, mais je n’avais pas projeté qu’Amaëlle subisse le contrecoup de mes plans, encore moins de cette façon. À mesure que nous nous rapprochons de mon appartement, je regrette mon plan au lieu de le considérer comme une nouvelle victoire. Je n’ai jamais ressenti autant d’amertume face à l’accomplissement d’un plan. Le trajet se fait relativement dans le silence durant lequel je me perds dans mes pensées où seule Lucie est capable d’en suivre le cours. Elle aussi a souffert à cause de mes projets.

« C’était plus simple lorsqu’il n’y avait que toi et moi. » dit-elle finalement pour rompre le silence, même s’il n’y a que moi qui l’entends. Ce n’est pas un reproche, après tout Lucie a accepté la présence d’Amaëlle avant même que je ne le fasse et je ne suis pas certain qu’elle apprécierait retrouver notre solitude passée maintenant qu’elle s’est habituée à l’avoir à nos côtés. Elle énonce simplement à voix haute ce que je pense tout bas. Je ne réponds pas à Lucie, pas plus que je ne lui adresse un regard, continuant de me perdre au fin fond de mes songes, sans que personne ne puisse rien y faire. « Ne la fais pas partir, Lucas… » poursuit-elle après de longues minutes de silence. Je sens mes doigts se resserrer l’espace d’un instant avant de se relâcher. Tu n’étais pas aussi émotive à l’époque, Lucie. Tu ne t’es jamais attachée à personne.

Quand on regagne finalement l’appartement, je ne peux m’empêcher de me répéter les paroles d’Amaëlle dans mon esprit : je te fais confiance. Jusqu’où est-ce que cela l’a entraîné, de m’accorder autant de crédit ? Tu ne devrais pas me faire confiance Amaëlle, personne ne le devrait. Je ne suis pas fiable. Je ne le suis déjà pas pour moi-même, alors comment pourrais-je l’être pour quelqu’un d’autre ? Je sens bien son regard traîner sur moi, probablement à l’attente d’une réaction ou d’un mot prononcé. Je me contente d’avancer silencieusement jusqu’au salon et m’arrête devant les morceaux de divers plans accrochés au mur que seul mon esprit est en mesure de comprendre. Peut-être que celui de Daniel serait à même d’en décrypter une partie, il est après tout celui qui me comprend le mieux. Peut-être que les fous ne sont pas destinés à faire entrer d’autres personnes dans leur vie.

Mes doigts s’emparent d’une feuille que j’arrache du mur, puis d’une seconde, d’une troisième et encore une autre. Rapidement, tout ce qui était accroché au mur se retrouve en lambeaux sur le sol et je me tiens debout autour d’un véritable champ de confettis. Mon cerveau entièrement décomposé. Serais-je capable de devenir autre chose que ces morceaux de papier ? Daniel n’a pas trouvé sa rédemption aux côtés de Malia et quoi qu’elle en dise, j’entraîne Amaëlle vers le fond. Combien de temps avant que mon frère décide de s’en prendre à elle par esprit de vengeance ? Si Amaëlle s’en est sortie pour cette fois face à l’unité, elle n’a pratiquement aucune chance contre Daniel. Je la sens approcher pour tenter de me calmer, ou peut-être pour essayer de me comprendre. Mon regard se tourne enfin vers elle et je ne saurais dire ce qu’elle est capable d’y lire, puisque je ne sais moi-même pas quelle émotion domine. Je n’aime pas ressentir les choses de cette façon et je ne m’y ferais probablement jamais.

« Je ne te propose pas de célébrer cette victoire. » dis-je finalement d’un ton froid en repensant à ce qu’Ivashkov lui a fait subir par ma faute. Si elle ne m’avait pas suivi… Je chasse cette pensée de mon esprit avant de détourner mon regard du sien. Combien de choses seras-tu prête à encaisser avant de décider que s’en est trop ? Personne ne signerait pour ce genre de vie. Encore moins maintenant qu’il l’a vu… Daniel est désormais au courant de l’existence d’Amaëlle et tout est ma faute. J’ai mal calculé. Amaëlle n’aurait pas dû se retrouver ici, avec moi, dans l’enfer de l’unité. Daniel était prévu dans le plan, mais pas elle, pas cette fois. Pourtant je l’ai laissé me suivre. J’ai regretté cette erreur quand ils se sont servis d’Ivashkov pour la torturer, puis une seconde fois quand une lueur a illuminé le regard de Daniel au moment où il l’a aperçu. Après tout, qui de mieux que mon meilleur allié pour être aussi mon pire ennemi. Combien de temps attendra-t-il avant d’agir ? Je ne peux pas vivre dans le doute, je ne le supporterai pas et je n’oublie pas la promesse que nous nous sommes faites : au moins l’un de nous mourra de la main de l’autre.

« Je ne peux pas te garder à mes côtés… » murmuré-je pour moi-même, mais à n’en pas douter Amaëlle l’a tout autant entendu que Lucie qui se révolte déjà de telles paroles. « Tu n’as pas le droit ! Après tout ce qu’on a encaissé pour toi, tu n’as pas le droit de faire ça ! » C’est justement pour cette raison, Lucie… C’est ce qui m’inquiète et je n’arrive pas à penser pas correctement, lorsque je suis inquiet. « Il va venir pour toi et je ne veux pas qu’il te trouve. » Je ne le laisserais pas non plus me torturer en jouant sur l’attente, une chose qu’il serait capable de faire simplement pour me rendre plus fou que je ne le suis déjà. « Lucas… » J’ignore Lucie et relève à nouveau mon regard vers Amaëlle, sûr de ma décision. « D’abord, je dois me débarrasser de lui. Ensuite tu pourras rester. » C’est ma condition pour que notre duo, ou plutôt trio, perdure.

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Une victoire amère

La solitude est importante, quand on vit dangereusement. Elle est même nécessaire. Plus rien ne va depuis que je l’ai rencontré. Mes barrières ont été franchies, mes plans ont changés et certaines émotions tentent de percer. Non, plus rien ne va et pourtant je ne reviendrais pas en arrière. Mais ce soir je regrette beaucoup de choses. Je n’ai jamais rien regretté pourtant, je laisse généralement ces émotions aux plus faibles. J’arrache les centaines de papiers accrochés au mur et représentant un travail de longue haleine pour les réduire en lambeaux en l’espace de quelques secondes. J’ai l’impression d’avoir du mal à respirer. J’ai le sentiment que mon cœur tambourine contre ma cage thoracique et cherche absolument à en sortir. Mais tout ceci est dans ma tête, car il y a longtemps que je ne respire plus et que ce cœur a cessé de battre. Depuis quand est-ce que je ressens les choses ainsi, Lucie ? C’était toi qui étais censée enfermer ces émotions loin de moi et maintenant que je t’ai récupéré, il serait temps de reprendre ton travail en main.

La réponse d’Amaëlle face à mon sarcasme inhabituel ne me surprend pas. Même après ce qu’elle vient de traverser, elle se sent prête à célébrer cette victoire. Ce n’est pas mon cas. En guise de réponse, je reste silencieux, même si Lucie n’en fait pas autant. « Dommage, ça t’aurait fait du bien ! » lâche-t-elle d’un ton plein de reproches que je préfère ignorer. Toi aussi tu deviens beaucoup trop émotive Lucie, je n’apprécie pas cela. Heureusement, il y en a un pour garder les pieds sur Terre ici et la première des choses à faire avant une quelconque célébration est de m’assurer que Daniel ne représente un danger pour personne. Cela passe par devoir éloigner Amaëlle quelques temps, mais évidemment, celle-ci ne voit pas les choses de cette façon. Le contraire aurait été étonnant. Les yeux braqués dans ma direction, la strigoï se rapproche de moi pour mieux me repousser en arrière. Je ne bronche pas et préfère attendre que la tempête passe, car visiblement je viens de la mettre en colère.

Amaëlle refuse catégoriquement ma proposition qui, si on en croit ses paroles, n’aurait jamais dû franchir la barrière de mes lèvres, ni même me traverser l’esprit. C’est bien cela le hic, Amaëlle. Nous n’avons pas le même mode de pensée et si habituellement cela ne pose pas de problème, quand Daniel entre dans le lot s’en est un. Je sais le déchiffrer, pas toi. Je sais lui tenir tête et si tu y es parvenue à le faire avec moi, je doute que tu atteignes le même résultat avec lui. Je ne prendrais pas le risque. « Cette fois c’est différent. » dis-je calmement. « Il ne s’agit pas d’une simple épreuve à surmonter, mais de mon double à confronter. » Après tout, ne sommes-nous pas identique Daniel et moi malgré nos différences ? Deux dangereux génies qui ont traversé l’enfer ensemble. « J’ai arraché de l’équation sa partenaire de vie pour son propre bien. » Je ne parle pas de relation car dans nos têtes il n’est pas question d’amour, même si nos cœurs en auraient autre chose à redire. « Il cherchera à en faire de même pour moi. » Après tout, il ne s’agit pas de mon double pour rien…

C’est la première fois que j’évoque l’existence de Daniel avec elle. Même si Amaëlle est au courant de certaines choses de mon passé, il y a des informations que je n’ai jamais souhaité évoquer avec elle, comme l’existence de Daniel et de Malia. À quoi bon ? J’ai toujours voulu qu’ils appartiennent à mon passé, mais ils finissent irrémédiablement par revenir dans ma vie. La seule façon de m’en débarrasser serait de les éliminer, mais nous n’en sommes pas encore là. Étrangement, je n’ai jamais cherché à les faire disparaître définitivement de la surface de cette planète. « Pourtant on s’en sortirait bien mieux si tu l’avais fait ! » Ne sois pas si ingrate Lucie, après tout Daniel nous a aidé à nous en sortir ce soir. « Et rappelles-moi combien de fois on s’est fait torturer par sa faute ? » « Autant de fois qu’il l’a été à cause de nous. » Mon regard posé sur elle, je ne me rends pas tout de suite compte que je lui réponds de vive voix. J’imagine qu’Amaëlle doit être intriguée par cette personne maintenant qu’elle entend parler de son existence, mais ce n’est pas réellement un sujet sur lequel j’ai envie de m’attarder. Mes yeux reviennent se plonger dans ceux de la strigoï alors que je lâche un soupir. « Si tu restes, il va falloir qu’on établisse des règles. » Mais est-ce vraiment utile quand on sait qu’Amaëlle prend plaisir à les transgresser ? Ce serait presque comme la pousser à commettre des erreurs de cette façon… Vraiment pas une bonne idée. « Ou au moins des limites… » Du pareil au même Lucas, il va falloir trouver mieux. Il n’y a pas à dire, je déteste cette situation.

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