Le temps ne change pas les choses

Je le déteste. Ces mots tournent en boucle dans ma tête depuis qu’il m’a soigné, ramené à la vie. Je le déteste de m’avoir imposé ce choix. Je le déteste de se moquer de moi. Je le déteste de se croire maître de ma vie, comme tous les autres. Il a raison pourtant, je ne suis qu’une pauvre petite chose qui pleure parce que sa vie a été brisée, qui pleure parce qu’elle ne sait pas se rebeller, cette petite chose n’a jamais voulu être une mauvaise personne, mais elle souffre à cause de sa bonté. Je déteste ce sourire qu’il affiche, pire, ce rire qui éclate et me rappelle les leurs. Ce strigoï semble doué pour faire monter une certaine colère enfouit en moi depuis trop longtemps. J’ai envie d’exploser, j’ai envie d’être une autre Hannah, une femme forte, une femme capable de faire payer le premier qui osera se moquer de moi. Une Hannah différente de celle que j’ai toujours été.

Plus il parle et plus il me donne envie de lui arracher la langue. C’est fou, personne ne m’avait fait un tel effet avant lui et ce n’est pas positif, pas à mes yeux en tous cas. Mes larmes cessent elles-mêmes de couler face à tant de prétention et de provocation. Pour la première fois il n’y a plus de peine, juste de la rage. Il me met en garde de ne plus le gifler alors qu’il promet que ma mort arrivera lorsque lui le voudra. Pour qui se prend-t-il au juste ? Un roi. Un Dieu. C’est ce qu’il prétend, à croire que jamais personne ne l’a fait redescendre de son piédestal. Il veut me menacer ? C’est à mon tour de lâcher un rire à moitié amer, à moitié fou peut-être aussi. De quoi veut-il me menacer au juste alors que je désire mourir ? De me faire mal peut-être ? Qu’il fasse donc, peut-être que le fait de ressentir à nouveau quelque chose me redonnera envie de m’accrocher à la vie. Peut-être que ce sera pire.

« Quel choix ? Etre ton jouet jusqu’à ce que tu en aies marre de moi ? Je passe mon tour. »

Est-ce qu’il s’attendait à une autre réponse ? A ce que je lui dise oui et le supplie de faire de moi… Quoi au juste ? Une moroï à la hauteur des yeux d’un strigoï. Je ne vois pas l’intérêt, le seul strigoï que j’ai jamais voulu intéresser est mort et lui n’aurait pas voulu me changer, lui m’aimait pour celle que je suis. Il est indéniable pourtant que celle que je suis aujourd’hui est différente de celle que j’étais avec lui.

« J’ignore quel est ton problème mais tu n’es pas un roi et tu ne seras certainement pas mon Dieu. »

Et je m’attends à des répercussions pour lui parler de la sorte, mais je décide d’agir avant que lui ne le fasse, sans savoir d’où peut bien provenir cette envie de me battre, je voulais mourir il y a tout juste une minute après tout mais je crois que je ne veux simplement pas lui donner le plaisir de mourir entre ses mains. Alors oui, j’agis sans trop savoir comment. C’est une vague puissante qui vient renverser le strigoï et l’éjecter du toit, le laissant retomber sur la terrasse quelques mètres plus bas. Et je m’arrête le souffle court, les yeux grands ouverts. Est-ce que je viens vraiment de faire ça ? Je n’ai jamais été douée avec ma magie, je n’ai jamais… attaqué qui que ce soit. Et aujourd’hui je l’attaque lui, probablement l’être le plus dangereux et le plus fou que je n’ai jamais croisé.

« Merde… »

Et c’est peu dire. Je n’ose pas m’approcher du bord pour voir son état. Une chute du haut d’un toit ne tue pas un strigoï après tout, non ? Probablement pas, mais ça peut facilement le mettre en colère. Alors c’est un pas en arrière que je fais en regardant toujours droit devant moi, puis un second, et alors que personne n’apparaît encore, je me tourne pour me précipiter vers les escaliers, espérant avoir une chance de quitter cet endroit, cette fête, ce massacre. Espérant avoir une chance de m’éloigner le plus possible de lui.