Je dois le revoir

Quelle drôle de femme semblez-vous être, domnicella. Quelqu'un qui semble n'avoir aucun instinct de survie ou en tout cas, aucune peur à me présenter alors même que je suis un strigoï. Penser que parce que je ne te tue pas, je ne tue pas d'innocent, c'est se tromper. Je me fixe des buts, je crée des plans qui interviennent sur la durée. Et si pour les réussir, je dois tuer des innocents, je le ferais. Je ne suis plus cet être plein d'illusions que j'étais en tant que dhampir. Je sais que la victoire signifie le sacrifice de quelques personnes qui auraient pu s'en sortir, qui n'avaient rien fait pour mériter la mort. Mais je ne suis plus assez sensible pour m'arrêter sur ses morts nécessaires. Mais est-ce vraiment utile d'en débattre avec cette femme pleine d'illusion ?

Finalement, je change de sujet, surtout quand elle me dit désirer rester en ma compagnie. Ou en tout cas, elle n'a pas l'air de souhaiter retrouver ses confrères. Voilà bien une action imprudente. Mais je suppose que puisque je l'ai soigné, elle suppose donc que je ne suis pas dangereux. Encore une fois, est-ce dans un quelconque intérêt de la détromper quand elle ne me reverra certainement plus après ce soir ? Aucun de mes plans sur le long terme ne nécessite que je reste à Missoula plus longtemps que nécessaire. Alors bientôt, nous ne nous reverrons plus.

A la place, je lui prête ma veste et je lui fais comprendre que nous allons bouger de là. Elle me dit qu'elle a confiance mais elle ne devrait pas. Sauf qu'encore une fois, je rebondis pas là-dessus. Un jour, elle aura une véritable désillusion et ce jour-là, elle y perdra peut-être la vie. J'espère, pour elle, qu'elle est prête à assumer ce qui pourrait lui arriver.

J'attrape finalement Jade et je nous fais courir jusqu'à la grotte, précédent quelques peu la pluie. Sauf que le temps de la reposer et de la prévenir que je vais chercher du bois, l'orage nous a déjà rattrapé. Je ne fais pas attention à son début de réponse, à la place je ressors chercher le nécessaire. L'eau tombe drue mais elle n'a pas encore atteint les cimes des arbres les plus volumineux, alors je trouve plusieurs branches encore sèches. Bien plus sèches que moi en tout cas. Très vite, je retourne dans la grotte avec mon butin.

Mes yeux de strigoïs me permettent de voir que Jade est recroquevillée dans un coin, me faisant froncer les sourcils. J'aurais du la déposer directement à l'Académie, peu importe sa volonté. Bien que cela m'aurait certainement mis également en danger, j'avais assez confiance en mes capacités pour me permettre de passer aux travers des mailles et repartir tout aussi rapidement. En réalité, si les choses n'ont pas changé en plusieurs siècles, comme je le suppose, je pourrais même faire tomber la barrière sécurisée de l'Académie et m'infiltrer à l'intérieur en à peine quelques heures. Mais heureusement pour les moroïs et les dhampirs, ce n'était aucunement mon but. Je n'avais que peu d'intérêt à porter à ces deux espèces.

Silencieusement, j'allume un feu, permettant à Jade de voir autre chose que des éclairs. Puis je m'installe en face de ce feu, laissant ce dernier sécher mes vêtements. Après tout, bien que je ne ressentes le froid que comme une sensation, et non pas un désagrément, se promener avec des vêtements humides n'a jamais été très agréable. Je tourne mon regard vers Jade le temps de parler, lui disant que je ne pouvais lui accorder qu'un répit de courte durée avant qu'elle ne retourne à sa société. Puis je retourne de nouveau mon attention vers le feu mais c'est sans compter sur cette jeune moroï.

Je vois cette dernière se redresser et recouvrer un feu intérieur qu'elle me présentait au début de notre conversation. Une femme qui me demande de quoi j'ai peur. Et étonnement, je la laisse termine de me parler. Mais je ne retiens pas une légère moue quand elle me dit qu'elle n'a pas peur de moi et que si je le voulais, je lui aurais fais du mal il y a longtemps. Visiblement, elle ne connait pas les gens de mon espèce. Ils sont imprévisibles mais surtout, leurs plans peuvent être de retarder la douleur pour en profiter encore plus après. Tant qu'elle se trouveras en présence d'un strigoï, elle ne sauras jamais être certaine d'être en sécurité. Bien sur, cette constatation fonctionne avec toutes les espèces. Mais à mon grand damne, elle est encore plus vrai avec les strigoïs. Parce que s'il est vrai que nous avons des bons strigoïs, nous avons aussi certains des plus vicieux êtres de la planète dans cette race.

« Vous ne devriez pas avoir confiance. »

Ce qui m'étonne légèrement et me fait de nouveau tourner la tête vers elle, c'est la suite de ses phrases. Cette remarque comme quoi je lui plais. Oh, je ne suis pas aveugle, je sais que mon corps plaît. J'en ai profité plus que ma part en tant que dhampir, j'en ai profité de nouveau en tant que strigoï bien que ces derniers temps avec l'unité, mes contacts avec la gente féminine se sont grandement réduit. Ce qui m'étonne vraiment, c'est que cette frêle femme parle aussi facilement de désirs aussi profonds.

Je garde le silence un moment, peut être un peu trop longtemps moment, mais cela me permet de réfléchir à ce qu'elle m'a dit. Cela me permet également d'analyser ce que je vois dans ses yeux. Et elle n'est pas aussi confiance qu'elle veut sembler l'être. N'est-ce pas ? Je penche la tête sur le côté et à ses yeux, je dois disparaître pendant que je cours jusqu'à me retrouver accroupi face à elle, entourant doucement le bas de son visage de la paume d'une de mes mains, l'autre se trouvant en appuie sur le mur derrière elle pour me permettre d'être proche, sans l'écraser. Et je lui prouve pour la première fois depuis notre rencontre que je connais son prénom...

« Vous n'avez aucune idée des désirs dont vous parlez, Jade. En tant que moroï, vous pensez connaître la signification du désir du corps et du sang. Mais ce n'est rien face aux désirs d'un strigoï. Vous n'en supporteriez pas l'intensité, si vous y surviviez. »

J'esquisse un léger sourire et soudainement, j'interromps tout contact, me laissant retomber en arrière pour m'assoir à ses côtés, mais plus proche du feu que d'elle. Je pourrais avoir peur qu'elle me pousse dans le feu, bien sur. Mais je n'ai ni peur de la mort, ni peur d'elle. Alors je prends un risque calculé. Et puis le feu qui couvre dans ses yeux ne parle pas de mort. Mais il parle de désir et d'angoisse. Vous n'êtes pas encore assez sure de vous pour assumer le désir d'un moroï alors celui d'un strigoï ? Il y a une raison pour laquelle je ne me perds pas dans n'importe quel corps. C'est parce que malgré mon apparence de calme et de flegme, tout cela part toujours en fumée quand une étreinte est en jeu. Et je préfère garder le contrôle, surtout face à un corps aussi fragile, peu importe la beauté du corps ou la personne à l'intérieur d'ailleurs...

Depuis combien de temps n'avais-je pas eu de discussion sensée avec un être humain ? Un certain temps maintenant. Les proies que j'avais chassé en cherchant Emma n'avaient pas eu le potentiel d'une véritable conversation. Quant à Emma elle-même, je l'avais raté. Et les ennemis qu'elle m'avait laissés n'avaient pas eu le temps de me parler quand je les avais éliminé. Si je remontais plus loin, je dirais que ma dernière conversation intelligente remontait à l'époque de Missoula, il y a déjà plusieurs mois de cela. Et encore... Etait-ce réellement des conversations ? Je n'en étais plus certain à ce jour.

J'observais cette femme, Jade, qui n'avait pas froid aux yeux et n'avait apparemment peur de rien. En tout cas, pas de moi. Etait-ce une bonne chose pour elle ? Non, je ne pense pas. Après tout, ce n'était pas parce que je l'avais soigné une fois que je ne pouvais pas retourner ma veste une autre fois. Surtout quand j'évitais de m'attacher, pour ne pas reproduire les erreurs de mon aventure avec Emma. Et à plus fortes raisons, j'évitais également les humaines. Elles étaient volatiles et leurs vies étaient bien trop courtes. Quand bien même Jade pouvait m'annoncer être têtue et savoir ce qu'elle voulait faire ou ne pas faire... Non, me faire confiance n'était pas une bonne idée.

Mais toute cette histoire ne semblait plus être aussi importante quand Jade m'évoqua le désir que je pouvais lui inspirer et que je finis par mettre un nom sur l'étincelle dans son regard. De la peur, n'est-ce pas ? Sans compter que... Je n'étais pas certain de ressentir vraiment du désir pour cette femme. Je ne m'étais pas arrêté à la considérer comme une femme, juste comme un être humain sans véritable enveloppe charnelle. Et je me rappelais parfaitement de la fragilité du corps que j'avais soigné. Un corps qu'il me serait bien trop facile de casser. Alors je m'approchais d'elle pour délivrer un ultime message. Une dernière mise en garde. Puis je m'écartais d'elle.

Je tourne de nouveau mon regard vers elle quand elle prend la parole pour me dire quelques mots. Lui dire qu'elle ne m'intéresse pas ? Est-ce que c'est réellement cela ? Si elle ne m'intéressait pas, elle ne serait pas encore en vie à l'heure actuelle... Mais je ne suis pas certain que nous parlions du même intérêt. Et je ne suis pas certain que parler maintenant ait un quelconque intérêt. Je l'observe toujours sans rien dire et elle continue à parler.

Jade n'a visiblement aucune idée de ce qu'elle peut rappeler à mon esprit. Les femmes que j'ai fréquenté... Elles ont toutes été touts feux toutes flammes. Et elles ont toutes été dangereuses. J'ai fini par terriblement regretter le fait de les avoir fréquenté. Enfin pour celles qui ont durées plus d'une nuit, ce qui signifie bien peu de femmes. Mais ce n'était pas le moment de s'intéresser à cela. Pas quand Jade se levait avec visiblement l'intention d'aller affronter la pluie à l'extérieur. Tout en me disant qu'elle m'aurait épaté. Et suite à cela, elle sortit pendant que le déluge qui se préparait il y a encore quelques minutes commençait maintenant à inonder les bois nous entourant.

« Quelle situation... »

Finalement, après un instant d'hésitation, je me relevais et je partis en direction de Jade. Elle n'avait pas pu aller bien loin, surtout que la pluie devait bien plus handicaper sa vue que la mienne. Mais je suivis son parfum qui se répandit bien plus rapidement (bien trop) avec toute cette pluie. De quoi me donner envie de prendre quelques gorgées de son sang... Non. Je ne pouvais, ni ne voulais, me le permettre. Finalement, je me plaçais sur le chemin de Jade, affrontant son regard malgré la pluie.

« Jade, attendez, ne partez pas ainsi. »

A affronter son regard ainsi, malgré la pluie, je me rendis bien compte que cela ne serait pas simple de la faire rester. D'ailleurs, était-ce réellement le choix que je désirais faire ? S'il n'y avait pas eu la pluie, surement l'aurais-je laissé repartir, sur qu'un dhampir finirait par croiser sa route. Mais voilà, la pluie était là, effaçant ses traces, empêchant les dhampirs de sortir, menant Jade sur d'autres sentiers glissants et dangereux mais diffusant également le parfum de sa peau et de son sang à mille lieux aux alentours. De quoi attirer bien des prédateurs. Je retiens un soupir en déposant doucement ma main contre le contour de la joue de Jade, attirant son attention.

« Je m'excuse, domnicella. Je ne voulais pas insinuer que vous manquiez de valeur ou de charme, ni que vous ne puissiez pas susciter de l'attirance chez moi. Mais la situation n'est pas aussi simple que cela. »

Jade ne savait pas l'attrait du sang, surtout sous cette pluie. Tout comme elle ne savait rien de la force des sentiments quand on ne les bride pas. Ou notre force physique. Autant de choses qui font de nous les monstres des nuits des moroïs. J'esquisse un léger sourire à l'encontre de Jade, sentant la pluie nous frapper un peu plus durement. Il allait falloir que nous rentrions rapidement. Ou...

« Si ma présence vous est insupportable, je peux vous ramener bien plus proche de l'institut en quelques secondes. Ou peut-être pourrions-nous rentrer à l'abri ? Cela fait bien longtemps que je n'ai pas eu une compagnie intéressante. »

Je ne lâche pas la joue de Jade, tout comme son regard pendant ma proposition. Oui, pour la première fois, je ne la poussais pas à partir rapidement, à la place, je lui laissais le choix. Plutôt ironique n'est-ce pas que le loup laisse le choix au chevreuil ? Bien que ce chevreuil-là puisse se révéler très intéressant.